L'année 1977
est une date charnière qui transforme profondément,
et de manière pour le moins radicale, la musique pop-rock.
Pourtant, loin de la fureur des nouveaux-nés Sex Pistols, Clash,
Damned ou Buzzcocks, l'album majeur de cette période est l'oeuvre
d'un groupe profondément ancré dans les années
70. Le Marquee moon de Television nous englue de longues nappes
d'un psychédélisme moite et tendu (Torn curtain).
J'ai toujours préféré au légendaire Never
mind the bullocks le premier album des Clash, dont est extrait
l'hymne punk Janie Jones. Au sein de cette mouvance
punk, trois groupes se démarquent l'année suivante.
Les Buzzcocks prolongent la magie du tubesque Fast cars en
assaisonnant leur punk-rock de mélodies incontournables (Ever
fallen in love). Au contraire, Crass joue la carte d'une radicalité
extrême. Mais au-delà du discours politique indigeste,
les pillonnements incessants du méconnu The feeding of the
5000 ont finalement eu raison de ma résistance. Le titre
Shaved women, daté de 1979, est une sorte de
versant intérieur de cette violence. On est bien loin de cette
radicalité avec les Undertones, qui cotoient les sommets du
punk-rock et de la pop la plus directe le temps d'un Teenage
kicks entêtant. Mais les années 78-79 ne peuvent
se limiter à cette mouvance punk. Profitant de ce climat d'effervescence,
de nombreux groupes s'épanouissent dans l'ombre de hurlements
de plus en plus éraillés. En 1978, Devo signe un album
inventif et ludique (Q: Are we not men R: We are Devo) dont
est tiré le classique Mongoloid. Les Stranglers
ne parviendront jamais à retrouver l'équilibre subtil
de The raven et de titres comme Baroque bordello.
Les Clash poursuivent leur construction essentielle (London
calling), tandis que Wire, dans la lignée des Buzzcocks,
s'éloignent du survitaminé 1,2,X U de leurs débuts
avec le toujours secret 154, dont est extrait On returning.
En 1979 trois autres tubes post-punk envahissent les platines :
Planet claire des B-52's, Human fly des Cramps
et le magnifique Part time punks syncopé des
Television personalities.
L'année 1980
marque un autre tournant avec la naissance de deux chefs d'oeuvre
absolus estampillés hâtivement cold-wave : le Closer
de Joy Division et le Seventeen seconds des Cure. La meilleure
chanson des Cure restera sans doute la sombre et angoissante A
forest, tandis que la voix de Ian Curtis atteint des sommets
d'émotion sur The eternal. Egérie de cette
new-wave profonde, Siouxsie sort avec ses fidèles Banshees
son meilleur album avec Kaleidoscope (Trophy). Plus
proche de groupes électroniques allemands, Killing Joke sort
un premier album éponyme qui allie la new-wave la plus sombre
et des rythmes proches des rythmes industriels (The wait).
Mais cette noirceur deviendra de plus en plus factice, tournée
en ridicule par la plupart des groupes de rock gothique tout au long
des années 80. Certains parviennent néanmoins à
sortir du lot, comme les Cocteau Twins avec Blind dumb deaf
ou Bauhaus avec une série de singles entre 1981 et 1983, dont
Passion of lovers. D'autres usent et abusent des claviers électroniques
pour nous entraîner dans des danses endiablées, comme
la danse dite de la mobylette qui consiste à faire semblant
de démarrer sa meule en poussant le pied vers le sol de manière
répétitive tandis que les bras forment de petits tourniquets,
tout cela en tournant sur soi-même et en hurlant Bob Morane
contre tous les chacals. Mais derrière ce vernis eighties se
cachent quelques instants de plaisir à l'état pur, comme
dans les premiers tubes de New Order ou le remuant Another word
(1982) de Talk Talk.
Mais le début
des années 80 ne se limite pas à cette invasion new-wave
avec cheveux hirsutes, hurlements d'outre-tombe et peinture noire
sous les yeux. La pop-musique se débarrasse peu à peu
des tonalités punk pour retrouver une innocence faussement
juvénile depuis l'inaltérable Karen des Go-Betweens
en 1978. Citons par exemple l'insolente innovation des Feelies avec
Loveless love (1980), la douce pop du One by
one des Comateens ou encore les envolées pop-folk du
magnifique Turning Class (1982) du Monochrome Set.