Ce
disque est à jamais associé à l'espace contigu
de ma chambre, à ces quatre murs tapissés de gris-bleu,
à cette tache sombre dans l'angle supérieur qui grandissait
de jour en jour. Perché au niveau du grenier, j'entends le
reste de la famille qui vaque à ses occupations dans les étages
inférieurs, et j'en profite pour allumer ma chaîne hi-fi.
Mon cartable tann's bariolé de coups de bic s'est affalé
dans un coin poussiéreux. Les grands arbres barrent la vue
de ma fenêtre. Je m'allonge sur ma couette à bandes verticales,
au milieu d'un amas de feuilles manuscrites. Il me semble que ce disque
n'appartient qu'à moi, que personne ne peut l'écouter
comme moi je l'écoute. D'ailleurs les autres passent leur temps
à ne pas l'écouter. C'est un disque dont je voudrais
leur parler, mais j'en suis incapable. Un disque si proche nous paralyse,
un disque aussi profond finit par faire corps avec celui qui l'écoute.
En parler reviendrait à parler du plus profond de mon être.
Perdu dans le brouillard créé par la musique, je n'entends
pas les appels répétés de ma mère à
l'étage inférieur. Un claquement de batterie terminal
me ramène à la réalité. Les posters ont
laissé des empreintes sur la tapisserie unie. Il faudrait avoir
la volonté de faire ces maudits exercices de math, mais un
simple coup d'oeil à mon cartable me persuade de laisser tomber.
Alors je me lève et descends en courant les escaliers menant
à la salle à manger.