Impossible
que je sois mort, quand on est mort on ne pense plus, on ne dit plus
rien, on n'a plus rien à dire. Continuer à parler malgré
cette terre puante qu'on a dans la bouche. On n'est pas mort on est
juste sous la pierre à avaler cette sale terre d'urine. Au-dessus,
la lourde pierre qu'on ne peut bouger à la force des bras,
la lourde pierre qui presse la terre sur nos corps. Impossible de
se souvenir du jour où on m'a mis là-dessous, on se
dit ça doit marquer quand même, mais non. Simplement
un jour je me suis réveillé avec cette maudite terre
granuleuse dans la bouche, entre les dents, partout. Elle pénètre
les moindres orifices, les moindres espaces, les oreilles aussi bien
que l'anus. Elle est vivante la terre, elle se glisse comme un serpent,
c'est quelque chose à savoir ça. Elle rampe, elle grimpe,
et on commence à sentir le pourri à l'intérieur,
à cause de l'humidité. Il fait sombre et froid là-dessous,
on ne sent plus ses membres je les ai senti un temps, pas longtemps.
C'est peut-être cela mourir finalement, ne plus sentir ses membres.
La langue on l'avale sous la poussée de la terre, ça
laisse un goût de sang dans la bouche, ça ne dure pas
longtemps, la terre reprend vite le dessus. On se dit qu'on commence
à être gagnés par la matière, qu'on se
met de plus en plus à lui ressembler. On devient comme elle,
on s'effrite on se décompose. On se met nous aussi à
vouloir nous infiltrer dans les orifices. On fourre les anus les vagins
et les bouches des nouveaux venus, on se glisse dans les intervalles
entre les dents, tout au fond des oreilles. Plus loin encore. On ne
sait plus si c'est nous ou si c'est la terre, ça n'a plus d'importance.
Quand les yeux finissent par tomber, on entre dans les orbites aussi.
On est de la terre partout, au dedans et au dehors.