Ecrits personnels - Accident et labyrinthe 2
 

 

 

 

 

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ROMAN

ACCIDENT ET LABYRINTHE 2

par Morgan Tricault

 

L'homme s'extirpe du véhicule retourné sur le toit en glissant son corps par la vitre brisée. Il se relève avec difficulté, en se tenant la jambe d'une main. Une profonde douleur s'élance de sa cuisse et lui arrache un gémissement. Il gravit néanmoins le talus et s'assoit dans l'herbe haute, de manière à surplomber la route sinueuse. Il attend le passage d'un véhicule. Il ne comprend pas comment il a pu se retrouver sur cette route qu'il ne connaît pas, dont il ne soupçonnait même pas l'existence, une route à peine esquissée entre deux prés immenses, délimitée par une succession de poteaux télégraphiques. Il ne se souvient de rien, comme si toute cette histoire était née au moment où la voiture était déjà sur le toit. En entendant le grondement des vagues il se souvient néanmoins de la proximité de la mer. Au loin, un immense manoir est entouré du ciel et de la mer qui se confondent dans un gris uniforme. Il veut extraire le paquet de cigarettes de sa poche de chemise mais à la place il y a une gomme d'écolier rouge et bleue. Pas le moindre véhicule à l'horizon, le seul bruit du paysage étant le roulement sourd et continu des vagues. Il glisse la gomme entre ses lèvres, en fixant l'endroit où le virage se dérobe à sa vue, puis se lève et se dirige en boitant vers l'immense manoir, se frayant un passage dans l'herbe qui lui arrive à la hanche. Le manoir surplombe l'océan, une façade entière semblant même être sculptée à même la falaise. En contrebas, les vagues viennent s'écraser sur des rochers pointus. Il contourne entièrement l'édifice avant d'apercevoir la porte d'entrée, située en haut d'un escalier en bois noir, et dont la rampe en fer forgé s'est effondrée sous les attaques incessantes du vent. Tout l'édifice semble à l'abandon. Des bris de verre éparpillés sur le perron crissent sous ses pas. Un volet claque au-dessus de lui, ce qui le fait sursauter. Il pousse d'une main la lourde porte en bois, qui s'ouvre sans le moindre grincement, ce qui est contraire à l'idée qu'il se fait d'un vieux manoir comme celui-ci. Un long couloir sombre aux murs fleuris se déroule devant lui, sans portes. Il s'engage dans le tunnel. Il marche un long moment sans rencontrer le moindre obstacle, puis descend un escalier en colimaçon. Il emprunte un autre couloir semblable au précédent, mais dont les murs sont couverts de miroirs de différentes tailles. Au bout du couloir, il pousse une petite porte. Le plafond s'est à présent abaissé de quelques centimètres, l'obligeant à se courber légèrement pour pouvoir avancer. Il descend un autre escalier ne comportant que quelques marches. Il surgit alors dans une immense pièce carrée qui semble représenter l'extrémité de la demeure. Un feu de cheminée crépite dans l'âtre. La maison n'est donc pas abandonnée, pense-t-il. Pourtant, malgré ses appels répétés, la demeure reste silencieuse. Sur le long buffet, il s'étonne de la présence d'une gomme, identique en tous points à celle qu'il tient désormais serrée dans son poing. Après quelques hésitations, il finit par s'asseoir dans un fauteuil près de la cheminée creusée à même la pierre. Sa jambe le fait de plus en plus souffrir, et il commence à dégrafer son pantalon pour évaluer l'état de sa blessure. Une entaille longue et profonde lui barre l'extérieur de la cuisse. Le sang a commencé à coller au pantalon, qu'il finit par enlever complètement. Une pluie battante se met à claquer l'unique fenêtre de la pièce, haute et étroite, et dont il n'aperçoit que maintenant les barreaux verticaux. La tempête semble se lever. Il souffle sur les flammes vacillantes. Des grincements se font maintenant entendre dans le manoir, mais sans qu'il puisse les localiser précisément. Il pense même qu'ils sont nés de sa peur. Dehors, le tonnerre se met à gronder pour couvrir le bruit assourdissant des vagues qui s'écrasent contre les rochers. Un éclair illumine la fenêtre. Il entend des pas lents qui descendent l'escalier. Mais il n'a plus la force de se lever, sa blessure le fait de plus en plus souffrir, et ses paupières sont devenues lourdes. Un volet claque maintenant à intervalles réguliers. La pluie se fait de plus en plus forte. L'obscurité est tombée dans le manoir, mais d'une main il parvient à atteindre l'interrupteur d'une petite lampe de chevet, posée sur le sol. Toutes les choses semblent disposées à sa seule intention. Les pas continuent de descendre l'escalier sans fin. Dans sa douleur de plus en plus vive il fixe une minuscule cacahuète coincée entre deux lattes du parquet, apparue dans le faisceau de lumière circulaire propagé par la petite lampe. Il ne peut plus faire le moindre geste. Ni dire ni faire quoi que ce soit. Il veut juste s'endormir, la tête posée sur le dossier moelleux du fauteuil, le regard fixé sur la cacahuète. Tête transformée en dossier ou en coussin, toute molle. Pareil pour les gestes, se laisser entièrement envahir par cette mollesse. Refuser le moindre geste, jusqu'à l'engourdissement. Ne plus sentir qu'une vague brûlure des yeux derrière les paupières closes. Dehors, le tonnerre gronde. Les pas continuent de descendre un escalier imaginaire. Devenir le fauteuil mou dans lequel il est enfoncé, la ceinture de sécurité lui barrant la poitrine.

©2001