Le vent soufflait
calmement. C'était un vent légèrement
humide et l'air était joyeux de pouvoir se mouvoir
dans cet espace nouvellement créé. Ce nouveau
monde était immense et plein de richesses et de beautés,
mais un endroit superbe intéresse plus particulièrement
l'auteur de cette histoire. C'est à cet endroit donc
que ce que l'on appellera plus tard la terre finissait, et
que ce qu'on appellera la mer commençait. Une falaise
d'environ trente mètres en granit rose empêchait
la mer d'envahir la terre, ce qui reste encore aujourd'hui
son rêve secret. De temps en temps, la mer se déchaîne
pour tenter d'envahir la terre, aidée en cela par le
vent qui tente de déstabiliser la falaise et de la
faire basculer. Cette lutte durera certainement éternellement.
Mais aujourd'hui la mer est calme, elle se repose en vue de
sa prochaine attaque. Le soleil, du haut de son piédestal,
regarde passivement cette lutte intestine tout en réchauffant
cet air iodé.
Une femme nue était
allongée sur un tapis d'herbe verte gorgée d'eau,
dont l'odeur s'exhalait pour aller se perdre dans le cerveau
de la jeune femme. Les cheveux extraordinairement longs, bruns
et ondulés avec des reflets roux s'éparpillaient
anarchiquement sur le sol. Les grands yeux noirs pétillant
de vie n'étaient pas visibles car les paupières
de la jeune femme étaient fermées. Les lèvres
légèrement entrouvertes laissaient apparaître
la blancheur et l'éclat d'une dent. Elle était
allongée sur le ventre. Ses seins s'enfonçaient
mollement dans l'herbe. Ses cuisses reflétaient la
douceur de ce qui aurait pu être le petit matin. Son
bras et sa jambe droite étaient relevés vers
le haut, tandis que le bras gauche se perdait sous son ventre.
Elle offrait son postérieur à la vue d'anges
passant dans le ciel. Sa croupe brûnatre se confondait
avec la terre. Elle dormait et de ce fait le calme était
presque parfait dans ce monde.
Une petite fumée
s'éleva discrètement non loin de là,
et comme il est reconnu qu'il n'y a pas de fumée sans
feu, des flammes commencèrent à grésiller
et bientôt une barrière de flammes de plusieurs
kilomètres de long apparut à l'horizon en brûlant
tout sur son passage comme tout bon feu qui se respecte. Le
feu s'approcha de la femme, l'entoura, puis étant arrivé
au bord de la falaise il mourut de lui-même. Le silence
réapparut. La femme dormait toujours; elle n'avait
pas bougé, elle sentait seulement le brûlé.
Le temps passe, faut
bien pour oublier. Fort de cet adage, le temps se mit à
travailler et bientôt le paysage reprit sa couleur verte
et la femme reprit sa douceur satinée. Le temps avait
fini son travail et se retira.
Non loin de là,
une pierre de granit taillée en cube surgit juste à
côté de la première, et ainsi de suite
jusqu'à ce que des centaines de pierres se soient extirpées
de terre et aient formé une énorme bâtisse
avec des tuiles rouges pour les toits, des fenêtres
ornées de multiples sculptures et des colonnes parfaites,
le tout étant majestueux et immense. Le vent n'était
pas content de cet édifice qui lui gâchait le
plaisir de ses courses folles dans l'herbe. De plus, il était
bien moins agréable de lécher les pierres rugueuses
que le corps de la jolie femme. Il se mit donc à l'ouvrage,
aidé en cela par le temps. Il commença à
grignoter les pierres et rongea l'édifice qui finalement
s'écroula dans un grand fracas. L'amas de pierres et
de matériaux se perdit dans les tréfonds de
l'oubli.
La femme dormait
toujours. Sa peau commençait à craqueler sous
l'effet du soleil. Bientôt, juste à ses pieds,
la terre se fissura sur quelques centimètres. Des mottes
de terre s'agglutinèrent sur les bords de cette faille;
on ne pouvait voir le fond de cette crevasse et puis on ne
put plus rien voir du tout car l'herbe avait tôt fait
de recouvrir entièrement cette faille. Un peu plus
tard, la terre accoucha d'une croix, une immense croix en
bois qui s'éleva doucement dans le ciel. Elle était
immense et aurait pu faire peur à la femme si celle-ci
avait été éveillée. Sur la croix,
un homme très maigre apparut, accroché par les
mains et les pieds. Il releva la tête et ouvrit les
yeux. On pouvait croire qu'il portait en lui toute l'humanité;
il voulait qu'on ait peur et pitié de lui. Mais voyant
les fesses et le sexe de la jeune femme, son regard se modifia.
Il voulait lui écarter davantage les jambes, pour boire,
sa soûler, se perdre. En s'apercevant qu'elle ne faisait
aucun effet dans ce monde, la croix pourrit de dépit.
La femme continuait à dormir, elle n'avait pas bougé.
Seule son odeur s'était modifié : elle puait.
La pluie n'avait pas daigné venir la laver de ses salissures.
D'un coup d'un seul
une immense clarté provenant d'un immense champignon
fait de flammes et de fumée s'éleva à
plusieurs centaines de mètres dans le ciel. Un énorme
souffle balaya tout sur son passage à des dizaines
de kilomètres à la ronde. La femme s'éveilla,
leva sa tête magnifique. Elle releva également
ses paupières et l'on put découvrir ses deux
yeux marrons où l'on aurait pu perdre la mémoire
tant ils étaient profonds. Elle s'accouda sur le sol,
regarda le paysage, se mit sur le dos, puis regarda la mer
et pleura. Elle se recoucha et mourut dès qu'elle eut
fermé les yeux. Elle se décomposa et pourrit
rapidement.
Tout cela n'avait
duré qu'une seconde.