Esprits de plumes - Un monde

 

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UN MONDE

par Morvan Boué

 

Le vent soufflait calmement. C'était un vent légèrement humide et l'air était joyeux de pouvoir se mouvoir dans cet espace nouvellement créé. Ce nouveau monde était immense et plein de richesses et de beautés, mais un endroit superbe intéresse plus particulièrement l'auteur de cette histoire. C'est à cet endroit donc que ce que l'on appellera plus tard la terre finissait, et que ce qu'on appellera la mer commençait. Une falaise d'environ trente mètres en granit rose empêchait la mer d'envahir la terre, ce qui reste encore aujourd'hui son rêve secret. De temps en temps, la mer se déchaîne pour tenter d'envahir la terre, aidée en cela par le vent qui tente de déstabiliser la falaise et de la faire basculer. Cette lutte durera certainement éternellement. Mais aujourd'hui la mer est calme, elle se repose en vue de sa prochaine attaque. Le soleil, du haut de son piédestal, regarde passivement cette lutte intestine tout en réchauffant cet air iodé.
Une femme nue était allongée sur un tapis d'herbe verte gorgée d'eau, dont l'odeur s'exhalait pour aller se perdre dans le cerveau de la jeune femme. Les cheveux extraordinairement longs, bruns et ondulés avec des reflets roux s'éparpillaient anarchiquement sur le sol. Les grands yeux noirs pétillant de vie n'étaient pas visibles car les paupières de la jeune femme étaient fermées. Les lèvres légèrement entrouvertes laissaient apparaître la blancheur et l'éclat d'une dent. Elle était allongée sur le ventre. Ses seins s'enfonçaient mollement dans l'herbe. Ses cuisses reflétaient la douceur de ce qui aurait pu être le petit matin. Son bras et sa jambe droite étaient relevés vers le haut, tandis que le bras gauche se perdait sous son ventre. Elle offrait son postérieur à la vue d'anges passant dans le ciel. Sa croupe brûnatre se confondait avec la terre. Elle dormait et de ce fait le calme était presque parfait dans ce monde.
Une petite fumée s'éleva discrètement non loin de là, et comme il est reconnu qu'il n'y a pas de fumée sans feu, des flammes commencèrent à grésiller et bientôt une barrière de flammes de plusieurs kilomètres de long apparut à l'horizon en brûlant tout sur son passage comme tout bon feu qui se respecte. Le feu s'approcha de la femme, l'entoura, puis étant arrivé au bord de la falaise il mourut de lui-même. Le silence réapparut. La femme dormait toujours; elle n'avait pas bougé, elle sentait seulement le brûlé.
Le temps passe, faut bien pour oublier. Fort de cet adage, le temps se mit à travailler et bientôt le paysage reprit sa couleur verte et la femme reprit sa douceur satinée. Le temps avait fini son travail et se retira.
Non loin de là, une pierre de granit taillée en cube surgit juste à côté de la première, et ainsi de suite jusqu'à ce que des centaines de pierres se soient extirpées de terre et aient formé une énorme bâtisse avec des tuiles rouges pour les toits, des fenêtres ornées de multiples sculptures et des colonnes parfaites, le tout étant majestueux et immense. Le vent n'était pas content de cet édifice qui lui gâchait le plaisir de ses courses folles dans l'herbe. De plus, il était bien moins agréable de lécher les pierres rugueuses que le corps de la jolie femme. Il se mit donc à l'ouvrage, aidé en cela par le temps. Il commença à grignoter les pierres et rongea l'édifice qui finalement s'écroula dans un grand fracas. L'amas de pierres et de matériaux se perdit dans les tréfonds de l'oubli.
La femme dormait toujours. Sa peau commençait à craqueler sous l'effet du soleil. Bientôt, juste à ses pieds, la terre se fissura sur quelques centimètres. Des mottes de terre s'agglutinèrent sur les bords de cette faille; on ne pouvait voir le fond de cette crevasse et puis on ne put plus rien voir du tout car l'herbe avait tôt fait de recouvrir entièrement cette faille. Un peu plus tard, la terre accoucha d'une croix, une immense croix en bois qui s'éleva doucement dans le ciel. Elle était immense et aurait pu faire peur à la femme si celle-ci avait été éveillée. Sur la croix, un homme très maigre apparut, accroché par les mains et les pieds. Il releva la tête et ouvrit les yeux. On pouvait croire qu'il portait en lui toute l'humanité; il voulait qu'on ait peur et pitié de lui. Mais voyant les fesses et le sexe de la jeune femme, son regard se modifia. Il voulait lui écarter davantage les jambes, pour boire, sa soûler, se perdre. En s'apercevant qu'elle ne faisait aucun effet dans ce monde, la croix pourrit de dépit. La femme continuait à dormir, elle n'avait pas bougé. Seule son odeur s'était modifié : elle puait. La pluie n'avait pas daigné venir la laver de ses salissures.
D'un coup d'un seul une immense clarté provenant d'un immense champignon fait de flammes et de fumée s'éleva à plusieurs centaines de mètres dans le ciel. Un énorme souffle balaya tout sur son passage à des dizaines de kilomètres à la ronde. La femme s'éveilla, leva sa tête magnifique. Elle releva également ses paupières et l'on put découvrir ses deux yeux marrons où l'on aurait pu perdre la mémoire tant ils étaient profonds. Elle s'accouda sur le sol, regarda le paysage, se mit sur le dos, puis regarda la mer et pleura. Elle se recoucha et mourut dès qu'elle eut fermé les yeux. Elle se décomposa et pourrit rapidement.
Tout cela n'avait duré qu'une seconde.
©2001