La
pluie frappait les carreaux de la fenêtre. La tempête
qui fulminait au large dispersait sur les côtes des vents
et de la pluie. La mer se cognait par paquets sur les rochers
de granit rose. L'ambiance était sombre et funèbre,
mais le jeu d'ombres et de lumières rendait ce paysage
fascinant. La force que déployait la nature emplissait
tous les bords de l'univers, et seule cette partie du monde
existait réellement, tout le reste n'était plus
qu'un vague souvenir. Un manoir fait de brique rouge, de pierre
blanche et de bois s'élevait solitaire au-dessus de la
terre, regardant placidement la mer. La côte était
déserte, aucune autre habitation ne venait casser les
courbes voluptueuses de la falaise. L'herbe se couchait au sol
pour se protéger du vent et de la pluie. Au loin, le
ciel se confondait avec la mer. Le manoir était une énorme
bâtisse qu'aucune clôture ou mer n'encerclait. C'était
une maison faite par le paysage. Un escalier de bois noir nourri
par l'air iodé donnait accès à la lourde
porte de bois, constamment ouverte. Elle avait été
sculptée par des ouvriers visiblement inspirés.
Le marteau de la porte ne servait jamais et avait rouillé
de dépit. Dehors les multiples bruits se chamaillaient
pour prendre le dessus : le cliquettement de la pluie, le souffle
continu du vent, le raffut infernal des vagues et toute une
mosaïque de bruits presque imperceptibles. Derrière
la fenêtre composée de multiples petits carreaux
assemblés entre eux par du fer forgé d'un ancien
temps, ces bruits s'estompaient pour ne plus former qu'un murmure
tout aussi grisant pour quelqu'un qui voudrait être marin.
La pluie tombait obliquement sur la majestueuse toiture et l'atmosphère
sous celle-ci se refermait, devenant angoissante, les murs semblant
fondre sous l'effet de la pluie. Un volet de la maison claqua.
La jeune femme appuyait sa tête sur le côté
gauche de la fenêtre. Le mince filet d'air qui s'échappait
à intervalles réguliers de sa bouche formait un
halo de buée sur l'un des carreaux de la fenêtre.
La pluie coulait lentement à l'extérieur de la
fenêtre, formant des rigoles anarchiquement disposées.
Le feu crépitait doucement pour ne pas déranger
le calme de la pièce. Deux fauteuils recouverts de riches
étoffes brodées regardaient la cheminée.
Les murs étaient des planches de bois assemblées
entre elles, tout comme le plancher, mais celui-ci était
recouvert d'un tapis. La jeune femme était assise sur
le parquet mais ne s'en préoccupait guère. Elle
fixait les images de la tempête, car ce spectacle la fascinait
tellement qu'elle avait sans doute fini par pénétrer
dans un autre monde. Elle était grande, mais sa taille
était encore rehaussée par de hauts talons. Ses
bas fins sculptaient magnifiquement la rondeur de ses mollets
et le début du galbe de ses cuisses. Ses jambes s'ombrageaient
ou scintillaient selon l'intensité des flammes de la
cheminée qui était la seule source de lumière
dans le manoir. On entendit un craquement dans le couloir. Une
minijupe noire à carreaux blancs, ou inversement, esquissait
des fesses volumineuses et parfaitement formées. Un léger
frémissement habitait son échine et, du même
coup, modifiait les ombres sur le petit pull de laine qu'elle
portait à même le corps et qui lui moulait le buste
comme seul aurait pu le faire Rodin. Avec légèreté,
elle pressait maintenant ses seins contre la vitre. Elle était
calme. L'intensité de la lumière s'affaiblissait
à mesure que le temps passait. Mais où s'écoulait-il
donc? Sa longue chevelure blonde aux reflets ambrés rendait
magnifique la lumière qui venait s'y poser. Ses cheveux
avaient la consistance de la paille et la lumière s'y
perdait comme tout regard
qui s'y arrêtait. Mais rien ne s'arrête jamais vraiment.