Esprits de plumes - Sans titre

 

CHRONIQUES ROCK

SANS TITRE

par Morvan Boué

 

La pluie frappait les carreaux de la fenêtre. La tempête qui fulminait au large dispersait sur les côtes des vents et de la pluie. La mer se cognait par paquets sur les rochers de granit rose. L'ambiance était sombre et funèbre, mais le jeu d'ombres et de lumières rendait ce paysage fascinant. La force que déployait la nature emplissait tous les bords de l'univers, et seule cette partie du monde existait réellement, tout le reste n'était plus qu'un vague souvenir. Un manoir fait de brique rouge, de pierre blanche et de bois s'élevait solitaire au-dessus de la terre, regardant placidement la mer. La côte était déserte, aucune autre habitation ne venait casser les courbes voluptueuses de la falaise. L'herbe se couchait au sol pour se protéger du vent et de la pluie. Au loin, le ciel se confondait avec la mer. Le manoir était une énorme bâtisse qu'aucune clôture ou mer n'encerclait. C'était une maison faite par le paysage. Un escalier de bois noir nourri par l'air iodé donnait accès à la lourde porte de bois, constamment ouverte. Elle avait été sculptée par des ouvriers visiblement inspirés. Le marteau de la porte ne servait jamais et avait rouillé de dépit. Dehors les multiples bruits se chamaillaient pour prendre le dessus : le cliquettement de la pluie, le souffle continu du vent, le raffut infernal des vagues et toute une mosaïque de bruits presque imperceptibles. Derrière la fenêtre composée de multiples petits carreaux assemblés entre eux par du fer forgé d'un ancien temps, ces bruits s'estompaient pour ne plus former qu'un murmure tout aussi grisant pour quelqu'un qui voudrait être marin. La pluie tombait obliquement sur la majestueuse toiture et l'atmosphère sous celle-ci se refermait, devenant angoissante, les murs semblant fondre sous l'effet de la pluie. Un volet de la maison claqua. La jeune femme appuyait sa tête sur le côté gauche de la fenêtre. Le mince filet d'air qui s'échappait à intervalles réguliers de sa bouche formait un halo de buée sur l'un des carreaux de la fenêtre. La pluie coulait lentement à l'extérieur de la fenêtre, formant des rigoles anarchiquement disposées. Le feu crépitait doucement pour ne pas déranger le calme de la pièce. Deux fauteuils recouverts de riches étoffes brodées regardaient la cheminée. Les murs étaient des planches de bois assemblées entre elles, tout comme le plancher, mais celui-ci était recouvert d'un tapis. La jeune femme était assise sur le parquet mais ne s'en préoccupait guère. Elle fixait les images de la tempête, car ce spectacle la fascinait tellement qu'elle avait sans doute fini par pénétrer dans un autre monde. Elle était grande, mais sa taille était encore rehaussée par de hauts talons. Ses bas fins sculptaient magnifiquement la rondeur de ses mollets et le début du galbe de ses cuisses. Ses jambes s'ombrageaient ou scintillaient selon l'intensité des flammes de la cheminée qui était la seule source de lumière dans le manoir. On entendit un craquement dans le couloir. Une minijupe noire à carreaux blancs, ou inversement, esquissait des fesses volumineuses et parfaitement formées. Un léger frémissement habitait son échine et, du même coup, modifiait les ombres sur le petit pull de laine qu'elle portait à même le corps et qui lui moulait le buste comme seul aurait pu le faire Rodin. Avec légèreté, elle pressait maintenant ses seins contre la vitre. Elle était calme. L'intensité de la lumière s'affaiblissait à mesure que le temps passait. Mais où s'écoulait-il donc? Sa longue chevelure blonde aux reflets ambrés rendait magnifique la lumière qui venait s'y poser. Ses cheveux avaient la consistance de la paille et la lumière s'y perdait comme tout regard qui s'y arrêtait. Mais rien ne s'arrête jamais vraiment.

©2001