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HANTERNOZ
par
Morvan Boué
Je gravis l'escalier en bois,
m'aidant en cela de la rampe, dont les rondeurs vernies n'étaient
pas sans rappeler le souvenir de certaines caresses. Les marches craquaient
sous mon poids et ce bruit persistait même après mon
passage, ce qui finit par emplir la cage d'escalier d'un tumulte si
effrayant que je fus pris de vertige. J'atteignis finalement mon étage.
Déplaçant le paillasson vers la droite, je me saisis
de la clé après m'être accroupi. Je tournai la
tête vers l'appartement voisin. La porte était ouverte;
une petite fille était debout dans l'encadrement. Elle avait
une longue chemise blanche la couvrant entièrement. Ses cheveux
noirs et bouclés se répandaient de sa tête à
la manière d'une crinière. Deux billes noires regardaient
dans ma direction. La peau noire de la petite fille s'éclaircissait
ou s'obscurcissait selon que la lumière projetée par
la fenêtre la frappait rudement ou la caressait simplement.
Une corde apparut autour
de son cou et souleva la fillette. Horrifié, il me fallut
quelques secondes pour me précipiter vers ce corps déjà
presque inerte. Inexplicablement, je ne parvins pas à dénouer
le noeud coulissant qui marquait profondément le cou de la
fille. La corde paraissait s'estomper sous mes doigts. Je tombai
à genoux sur le parquet, encerclai de mes bras les chevilles
et les jambes et soulevai le corps dans l'idée de le soustraire
à la tension de la corde, mais celle-ci restait invariablement
tendue. La colère, la rage, le désespoir s'abattirent
sur moi. Je détournai la tête et sortis de l'appartement.
Deux touristes dévalèrent
l'escalier dans un fracas innommable. Ils rigolaient et ne me
virent pas.
J'entrai dans une chambre
mansardée. Les murs étaient décrépis,
l'eau de pluie suintait et décollait le papier peint.
Un petit vasistas éclairait un lit bancale. Une bouteille
de cidre vide gisait sur le plancher. Je m'assis et regardai
le ciel.
J'étais dehors
dans un parc. Je marchais au milieu d'une allée, mais
mon âme virevoltait sur la pelouse interdite. Le gravier
crissait sous mes pas. Une paire de vieux était en
train de baver d'ennui sur un banc en plastique longeant le
côté droit de l'allée. Je n'arrivais pas
à distinguer le mâle de la femelle tant leur
peau défraîchie masquait le peu de vie qui leur
restait. Ils se tournèrent vers moi avec sans doute
un bruit d'os brisés, mais j'étais trop loin
pour l'entendre. Je vis leur mauvaise humeur se figer en un
rictus. Leur odeur déjà putride emplissait autour
d'eux un cube invisible d'un volume assez important. Je devais
le traverser. Du haut de leur sagesse inexistante ils me scrutaient
en marmonnant. Insensiblement je m'étais déporté
vers la gauche de l'allée. Je sentais des regards inquisiteurs
me sourire dans la douloureuse traversée du cube. L'euthanasie
me traversa l'esprit, mais finalement je repris mon chemin
non sans y jeter quelques bûches.
Je me retrouvais
dans ma chambre mais ne la reconnaissais pas : elle avait
été refaite. C'était maintenant un
appartement spacieux avec plusieurs pièces, avec
des murs roses et des fleurs pour motifs, avec des grandes
fenêtres baignant les pièces dans une odeur
agréable. Le sol était moquetté.
Une balle vint se loger dans ma tête.
N'y trouvant rien de particulier, elle en sortit. Je m'écroulai,
las.
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