Esprits de plumes - Nirvana

 

NIRVANA

par Morgan Tricault

 

Une petite pièce aux murs sales, où la lumière ne filtre que par pâles faisceaux. Aucun rideau ni volet ne cache le monde du dehors, et pourtant le jour ose à peine pénétrer cette partie de la maison. Dans un coin d'ombre trône une vieille armoire en bois, moche, qui grince quand on la touche. Deux fauteuils lourdauds, recouverts d'un tissu en velours, se moquent continuellement de ce fichu caractère. Les yeux du musicien vont d'un objet à l'autre, dans un tourbillon de pensées obscures : une table rectangulaire qui n'accueille que des verres vides, deux ou trois chaises branlantes, un magnétophone neuf qui crache avec désinvolture des mots que personne ne peut comprendre, une lampe de chevet que ne diffuse que de l'ombre sous elle, des pinceaux maculés figés dans leur couleur à même le parquet. Quel sens donner à tout cela? Ces visions ravivent les souvenirs du jeune musicien, et les fourmis s'engouffrent dans son crâne, s'y mêlant aux bruits qui y régnaient en maîtres absolus. Il prend sa vieille guitare en ouvrant les entrailles de l'armoire et entonne un chant dont on ne peut être que jaloux. Soudain, il écrase joyeusement sa guitare sur le sol, mais comme toujours il ne comprend pas son geste. Les débris glissent sur le parquet et viennent se réfugier sous l'armoire. Les objets sont devenus minuscules. Le chanteur attrape le petit revolver argenté, qu'un rayon de soleil complice fait scintiller un instant. La moiteur de ses mains fige des empreintes sur la petite crosse courbée. Le magnétophone déréglé vomit toujours le même refrain, mais aucun sursaut ne parvient à l'intérieur de son crâne. Le musicien attend la nuit qui ne vient pas, attend que le miroir reflète autre chose que ce portrait triste aux yeux bouffis par l'alcool. Il rassemble ses pensées qui ne lui parviennent que par bribes et serre le petit objet métallique contre sa tempe. Il pleure. Des images se mettent à déteindre en lui : un groupe qui avait le nom d'une utopie, de la bière glacée, une foule hystérique et stupide, des iris rouges, le rire d'un enfant, le claquement d'une vague contre un rocher pointu, une voix haletant et fatiguée... Mais tout cela lui donne la nausée. La peur lui noue la gorge, brusquement il suffoque. Il a froid, quelqu'un ou quelque chose appuie sur la détente. La balle cherche dans cette tête tous les vieux rêves et les détruit, un à un.

©2001